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Billet d'humeur : Ce qui ne va pas avec le produit WWE

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  • Le 02/09/2017
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Jinder john

 

Le catch pratiqué est réel mais le catch observé est fictionnel. Des athlètes incarnent des personnages de combattants, au travers de performances spectaculaires, douloureuses voire dangereuses, sur le ring d'une compagnie de spectacle déguisée en ligue sportive. C'est la clé pour qu'un produit « catch » fonctionne.

 

Deux catcheurs s'affrontent pour un championnat, une rivalité personnelle ou un clash de valeurs … tout en cachant qu'ils souhaitent raconter une histoire et réaliser une performance appréciable, voire mémorable, pour leurs fans respectifs, impressionner les critiques et leurs employeurs, pour espérer un meilleur salaire. Les fans reconnaissent le talent et mesurent leur appréciation du spectacle qu'est un show de catch du point de vue des talents des performers (d'où le terme « talents » en anglais pour les nommer). Mais les fans cherchent à ce qu'une histoire leur soit racontée : ce challenger sera-t-il à la hauteur pour vaincre le champion ? Tel catcheur réussira-t-il enfin à vaincre son plus grand rival ? Et comment y arriveront-ils ? Par leur technicité, force ou résistance ? Ou en trichant, en mentant ? Et pourquoi ? Parce que selon eux, l'honneur et le respect dictent leurs actes, ou inversement ? Le catch est un art créatif, à la fois physique et narratif. C'est une fiction d'un genre unique. Et comme toutes fictions, son genre détermine la façon dont les mêmes scénarios fondamentaux, et des personnages humains communs, fonctionnent et interagissent dans sa propre « bulle » - composée d'une structure, d'archétypes et d'une codification spécifiques.

 

Le "quatrième mur" et la montagne

 

Cette « bulle » ne devrait cependant jamais limitée ou définir les fictions de ce genre. L'appel au « méta » (eg. The Fashion Files ou Southpaw Regional Wrestling) et les dialogues anti-« quatrième mur » (les « worked shoot promos »), ne sont inhérents qu'à cette « bulle » et à ses observateurs spécialistes – les « smart fans » et les personnes impliquées dans le milieu de ce genre, critiques, « bookers » et promoteurs. Ils sont à utiliser avec beaucoup de parcimonie, bien ciblée. Ils ne peuvent devenir une méthode narrative principale, au risque de donner un réalisme bordélique et contre-productif comme la récente scène de « contract signing » entre Roman Reigns et John Cena l'a démontré.

 

 

Cette scène a été réalisée – et horriblement mal gérée – pour susciter un « buzz » court-terme autour de deux personnages principaux plus ou moins rejetés par les fans, pour différentes raisons. Briser le « quatrième mur » en soi, sans soucis de réalisme de fond (eg. Les « pipebombs » de CM Punk en juin 2011), c'est un simple aveu de faiblesse et de paresse créative : « comment faire pour rendre ce scénario et ce match à venir « cool », donc pousser les gens à payer pour voir le show dont il est l'affiche ? Laissons-les surprendre et amuser les « smarts » dans une joute « méta » ! ». C'est tout de suite moins excitant, hein ? Sans oublier le fait de livrer un performeur progressant au micro mais encore très en dessous de son partenaire à l'abattoir verbal, n'est en aucun cas bénéfique, révolutionnaire ou innovant. Un personnage de combattant implacable et blasé tel Achilles dans Troie, a été montré impuissant et indigné face à un personnage d'ancien roi de la WWE, souhaitant se re-prouver aux yeux des fans, finalement remplacé par un maître de l'improvisation et du « bashing ».

Ce même phénomène d'abandon créatif se ressent avec des catcheurs pourtant aussi importants et aimés dans le produit WWE que Shinsuke Nakamura ou Finn Balor. L'un n'est défini que par son entrée, l'autre que par sa gimmick de « Demon King ». Aucun des deux n'est un personnage avec une histoire personnelle, des valeurs et des désirs. Bobby Roode, dans la même veine, s'en sort par exemple en combinant les deux, en plus d'avoir le savoir individuel de performeur, suffisant pour se diriger lui-même dans la bonne narration, la bonne façon qu'à son personnage d'agir.

 

Le meilleur exemple de maîtrise narrative effectuée par la WWE actuellement est Braun Strowman. Il n'est pas qu'une entrée ou une gimmick, il est un catcheur en quête de « plus de compétition » et déterminé à écarter ses concurrents, comme Roman Reigns, puis battre l'invincible champion Universal, Brock Lesnar, et remporter sa ceinture. Il est conscient de sa force et est prêt à l'utiliser, peu importe la manière ou les conséquences, tant qu'il atteint ses objectifs. Tel ce dernier, il n'est pas uniquement identifier par son alignement non plus – d'ailleurs quel est-il ? Le personnage de Braun Strowman respecte les codes fondamentaux du genre (battre ses adversaires, devenir champion, être au sommet), dans toute sa spécificité (sa taille, sa force, ses qualités). Braun Strowman, malgré son pantalon « Wyatt Family » automne-hiver 2015 et sa barbe de jeune Père Noël, est peut-être le personnage le plus réaliste du produit WWE. Le plus en phase avec son genre, le mieux ancré dans sa « bulle » certes à l'ancienne (pas de « WWE 24 : How to Braun Strowman » en vue) … et le plus unanimement acclamé par les fans actuellement !

 

La perfection n'existe pas, mais l'excellence est possible

 

Minoru suzuki swaggerCertaines compagnies excellent dans l'art créatif du catch. La NJPW ne cesse de montrer à quel point elle sait maîtriser le genre, dans son propre style très sportif. Les personnages des catcheurs de son roster ne sont pas soumis à un alignement « heel » ou « face » mais à des valeurs individuelles et de clans (CHAOS forme une élite « bling-bling », charismatique, au sommet du système ; Suzuki-Gun est l'archétype d'un groupe agressif de Yakuzas, souhaitant prendre le pouvoir ; Bullet Club est une bande de copains « gaijins », sans respect pour les autres catcheurs ou les japonais ; etc), et sont reconnus à la hauteur de leur technique in-ring (sous-entendu, leur talent de performeur) et de leurs séries de victoires.

Par exemple, Tetsuya Naito est un ancien jeune catcheur prometteur qui fut rejeté par les fans, au profit d'autres catcheurs, et qui décida de ne plus faire d'effort moral ou professionnel et de rassembler d'autres qui, comme lui, ont choisi d'être « ingouvernables ». Il désire redevenir IWGP Heavyweight Champion, en obtenant la victoire dans le Main-Event de Wrestle Kingdom – et pour cela, il a été le grand vainqueur du G1 Climax 27. S'il a remercié les fans de leur soutien envers son clan le soir de ce dernier gain, il n'entend pas le faire pour eux mais pour lui, et ne fera aucune concession et restera lui-même, acclamé (pour son talent) ou hué (pour son comportement irrespectueux).

 

Une même analyse complète de personnage peut être faite pour Kazuchika Okada, Hiroshi Tanahashi, KUSHIDA, Juice Robinson, Tama Tonga ou encore Katsuyori Shibata (qui, lui, en plus des autres, a une relation et un passif très réels avec les fans et la compagnie). Ce sont des catcheurs, non des « sports-entertainers », affamés de victoires, d'avancement et de gloire. L'appréciation des fans ou leur talent in-ring ne déterminent pas (en apparence, « kayfabe ») leur niveau dans la hiérarchie de la NJPW, ce sont les championnats et tournois qu'ils remportent. Ils ne sont pas juste des « faces » et des « heels », ils sont chacun des individus uniques, avec leurs propres manières d'aborder des situations différentes. Kazuchika Okada est capable d'être concentré sur l'objectif, respectueux envers son adversaire et conscient de la difficulté – à la manière d'un classique « babyface » - quand il est face à un challenger monstrueux comme Bad-Luck Fale. Tout comme, il peut être amusé, insultant et arrogant – tel un vrai « heel » - face à un vétéran qu'il sous-estime comme Satoshi Kojima.

 

Darby allin vs tim thatcherOn retrouve la même efficacité narrative dans un produit au style plus écrit, comme celui d'EVOLVE (notamment au travers de ses mini-docs). Et la récente « storyline » opposant l'ex-champion Timothy Thatcher et le jeune casse-cou Darby Allin en est une bonne illustration. Ce dernier souhaite obtenir une opportunité au titre de champion d'EVOLVE. Thatcher, toujours en quête de remonter la pente après la perte de ce même titre, ne supporte pas qu'une telle « parodie de catcheur » pense ne serait-ce qu'être à la hauteur d'un tel honneur. Face à la détermination d'Allin, il tente de l'empêcher à tout prix de « dévaluer » le prestige d'une ceinture qu'il a lui-même construit. Allin, après tout ce qu'il a traversé, doit désormais prouvé qu'il est non seulement prêt à affronter les pires souffrances physiques (à la manière d'un Mick Foley) mais qu'il est capable de battre techniquement un « vrai » catcheur, un technicien comme Thatcher.

L'alignement est certes plus identifiable ici : Thatcher est le « heel » et Allin le « face ». Mais chaque personnage est en conflit de part des valeurs légitimes et des arguments crédibles, auxquels on peut adhérer. Thatcher veut protéger le prestige d'une couronne et d'une fonction qu'il a porté pendant près de deux ans et souligne qu'Allin n'est pas à la hauteur des rois qui l'ont porté ou qui la porte. Darby indique qu'il le sous-estime, le prouvant sur le ring en apprenant de nouvelles techniques, et n'affiche que son désir fondamental de progresser et de réussir. Voilà ce que l'on appelle des adversaires à la hauteur l'un de l'autre, au sein d'un conflit organique. Deux humains dans une situation, donc dans une histoire humaine (certes, spécifiques à leur environnement, leur « bulle »). Une formule simple, pertinente et efficace à l'écriture réfléchie et travaillée par toutes les parties impliquées (des performers Thatcher, Allin et le commentateur Lenny Leonard, aux scénariste Gabe Sapolsky et « réalisateur » Kenny Johnson), totalement conscients des directions à prendre pour la rendre vivante.

 

Moyens + Effort = Innovation

 

Neville king of cw Voilà ce que réservent donc en majorité la NJPW ou l'EVOLVE. Alors qu'à la WWE, en dehors de l'exception Braun Strowman (ou Neville dans le même acabit ou The Miz, pour un exemple de personnage réaliste moins classique et plus moderne), s'abaissent à jouer au « méta » bordélique ou aux méthodes de « go away heat » des années 1950s pour rendre des « heels » - comme l'anti-américain archétypal Rusev, le « jobber » champion Jinder Mahal ou le délivreur de « cheap heat » locale Elias Samson - détestables.

Néanmoins, bien évidemment, le produit fictionnel de la WWE a les moyens de redresser le niveau et devenir à la hauteur de son époque. Et tout n'est pas forcément à innover : l'aspect télé-réalité d'un programme comme Total Divas ou Talking Smack ! peut ajouter de la pertinence avec la réalité (rapprocher le produit de la réalité des athlètes et de l'entreprise), l'aspect documentaire, à la vérité contrôlée, des WWE 24 ou Breaking Ground peut insuffler une grande dose de réalisme, la cinématographie des spots publicitaires narratifs des jeux WWE 2K peut aider à moderniser la télégénie de l'ensemble. Quant à l'aspect sportif, réaliste par nature, le « booking » traditionaliste de NXT existe avec succès depuis déjà quelques années (mais en regrettant le niveau oublié d'histoire comme Sami Zayn vs. Adrian Neville). Le tout est de faire l'effort de tout imbriquer en un seul produit TV cohérent.

 

Plusieurs révolutions sont donc cependant nécessaires pour « sauver » la WWE d'elle-même. Aussi bien au niveau créatif, narratif et visuel, mais aussi pratique. Dans un article édifiant de WhatCulture, il est rappelé que les talents étant forcés de se dépasser sur le ring pour améliorer leur popularité externe (du point de vue des fans) et interne (en vue d'attirer l’œil des dirigeants de la promotion), le catch pur n'a jamais été aussi dangereux – à la WWE ou même ailleurs, notamment le cas Shibata à la NJPW, celui-ci se rachetant ainsi auprès de la compagnie et des fans. Ainsi, faut-il que la WWE s'adapte à ce nouveau style in-ring se développant naturellement, et re-structure ses programmations. Peut-être en passant à un système de saisons comme Lucha Underground, avec une période de pause … ou juste en sachant discuter et travailler avec ses catcheurs sur un meilleur niveau d'attention créative et de prévention de performance. Les catcheurs ne doivent plus être les seuls à ne pas s'en foutre. Ils ne doivent plus être les seuls à bosser comme des fous pour réaliser le meilleur show de catch possible. Peut-être qu'en rassemblant les efforts de tous les artistes du catch produit par la WWE, ses fans arrêteront de s'en foutre aussi et de préférer s'amuser à jouer au beach-volley en plein show ...

 

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